Sages-femmes – Un embarquement dans la galère des faiseuses de vie

Sages-femmes | Héloïse Janjaud | Geko Films

Sages-femmes : Louise et Sofia, deux jeunes sages-femmes passionnées, rejoignent leur premier poste dans une maternité publique. Mais à peine débarquées, les deux amies se heurtent aux cadences folles d’un service au bord de l’explosion. Entre euphorie des naissances et angoisse de mal faire, des vocations s’abîment, d’autres se renforcent. Leur amitié saura-t-elle résister à pareille tempête ?

Sages-femmes | Lucie Mancipoz , Simon Roth , Héloïse Janjaud , Tarik Kariouh | Geko Films
Sages-femmes | Lucie Mancipoz , Simon Roth , Héloïse Janjaud , Tarik Kariouh | Geko Films

Sages-femmes

Note : 4.5 sur 5.

Parfois, pour comprendre une certaine situation, il faut la vivre. C’est le cas de Léa Fehner qui, suite à son expérience personnelle avec son fils, a entrepris une incursion quasi documentaire dans le monde si peu connu des sages-femmes. En entamant ce travail d’investigation, la réalisatrice a souhaité démystifier un métier aux allures divines alors qu’il est bien trop humain. Ce drame français sort au cinéma le 30 août 2023.

Un cri venu de l’océan

Sages-femmes est une plongée en eaux troubles dans cette profession. C’est une submersion soulignant la grande difficulté à exercer ce métier, entre manque d’effectif, salaire de misère et fêlures psychologiques.

S’y dégage néanmoins dans la profondeur de ces eaux une lumière, celle de la vie, bien que l’obscurité de la mort rôde. Le service des sages-femmes est comme un bateau, ou plutôt une galère, voguant ainsi entre calme et tempête.

Elles font toutes parties d’un équipage où chacune doit tenir son rôle au risque de couler. Cet embarquement dans ce bateau à la dérive est nécessaire pour comprendre les tenants et aboutissants de ce métier. Ce dernier est fondamental et manque totalement de considération des citoyens et surtout du gouvernement.

Le cri d’alarme proclamé par ces personnes nous arrive parfois aux oreilles peu subtilement. Néanmoins, quelques-uns de ces hurlements sont sincères et font écho avec notre cœur.

Le robot à la barre

La plus représentative de cette situation est le personnage de Bénédicte. Le premier contact que nous avons avec ce monde est cette sage-femme d’expérience qui est de prime à bord extrêmement désagréable, notamment avec Louise.

Cependant, nous comprenons au fil de l’œuvre qu’elle est comme ça à cause de la pression. Dans cette profession, il faut savoir fermer ses émotions, une chose inhumaine allant à l’opposé des préceptes de la médecine.

Bénédicte est la capitaine du bateau et ne peut donc pas fléchir face à l’adversité. Malgré tout, elle ne peut cacher indéfiniment son humanité. Bénédicte n’est pas dure juste pour l’être, bien au contraire. Cela colle ainsi avec le récit de nombre de ses compères, elles qui ne peuvent exercer leur métier convenablement.

Dans ce service, elles sont toutes des automates, agissant peu à peu mécaniquement, toutefois, et comme le prouve la plus dure d’entre toutes, l’être humain ressort toujours.

En pleine noyade

Sages-femmes est un long-métrage irrespirable là où justement la respiration est fondamentale. Nous sommes plongés dès le début, et ce jusqu’à la fin, dans un tourbillon où il est presque impossible de sortir la tête.

Cela est dû à la caméra épaule qui bouge constamment. Pour prendre conscience de la condition de cette profession, ce choix de réalisation était nécessaire pour retranscrire l’intensité vécue par les sages-femmes.

Nous sommes ainsi au plus proche du réel avec des cadres serrés, et non pas seulement sur les accouchements et autres opérations, mais aussi sur celles qui les font. Il est important de voir leurs visages, qu’ils soient ridés par les sourires ou figés par la tension.

Pour atteindre ce niveau d’authenticité, Léa Fehner a fait un travail de terrain phénoménal, en particulier parce qu’elle a impliqué de véritables sages-femmes, de la préproduction à la post-production. Celles-ci n’ont pas fait de la figuration et ont participé activement à la création du film.

Pour pousser le réalisme encore plus loin, les séquences d’accouchements sont montés avec des images réelles filmées par la réalisatrice et des séquences fictives retournées avec les vraies familles.

Au milieu de cet étouffement – primordial –, Valentin forme une bouffée d’air frais. C’est un personnage utile pour faire baisser la pression car il n’est pas interne, c’est un étudiant en stage. Par ce statut, nous pouvons nous identifier partiellement à lui, et surtout respirer grâce à son côté gauche.

Sages-femmes | Quentin Vernede , Lucie Mancipoz | Geko Films
Sages-femmes | Quentin Vernede , Lucie Mancipoz | Geko Films

Les deux moussaillones

Les personnages que nous suivons réellement sont Louise et Sofia. Les deux amies ont un parcours différent, mais qui se croisent. Louise en bave dès le début car ses problèmes extérieurs se répercutent sur son travail ce qui, dans un contexte comme celui-ci, est interdit.

À l’inverse, Sofia est celle qui se débrouille le mieux car elle est entreprenante et traite bien les patientes. Sa situation idéale change du tout au tout dès la première complication. Elle sous-estimera la charge de travail en souhaitant être sur tous les fronts.

Cette erreur va la briser comme en témoigne la séquence de l’accouchement de la sdf. Durant celui-ci, Sofia sera aussi dure que Bénédicte, son manque d’empathie allant en accord avec celui de la femme enceinte, cette dernière ne voulant pas de cet enfant.

La situation de la jeune femme va empirer au moment où elle doutera de ses capacités, ce qui la mènera à s’éloigner de ses collègues au point de quasiment sauter en dehors du navire. Pendant ce temps Louise elle est devenue une sage-femme compétente à son rythme.

Ce parcours croisé tent à montré le prisme large de la charge mentale et physique que vivent ces femmes. Si Louise gagne en caractère, Sofia va s’écrouler en devenant comme Bénédicte.

Subsistent des moments de bonheur, mais ces femmes n’ont pas le temps de s’émerveiller ou de craquer : pour faire avancer le bateau il faut toujours tenir son poste. A cet effet, la réalité rattrape la fiction, ce qui casse, non sans soulagement, la narration classique qui pouvait se dessiner.

Les hommes de l’équipage

Les sages-femmes sont majoritairement composées de femmes, toutefois gravitent autour d’elles des hommes. A l’exception d’un seul, ces derniers sont des chirurgiens. Ils sont peu présents, toutefois nous ressentons l’agacement des femmes car ils interviennent parfois sans prévenir et surtout sans qu’on ne les appelles.

Étant donné que nous sommes constamment avec les sages-femmes, la présence de ces hommes est désagréable. Néanmoins, cela reste en surface car il y a une volonté de montrer l’union d’un groupe face aux injustices. Les disperser aurait été contre-productif même s’il est louable d’aborder ce problème.

Avec Sages-femmes, Léa Fehner nous place au centre d’un navire qui part à la dérive. L’état du système médical français est aux abois, et cette œuvre est un cri venu du plus profond de l’océan pour nous le faire comprendre.

Sages-femmes | Khadija Kouyaté | Geko Films
Sages-femmes | Khadija Kouyaté | Geko Films

Vous pouvez continuer à me suivre sur Instagram Twitter et Facebook

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :