Tár : Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.

Tár
Après une longue pause de plus de 15 ans sans faire de films pour le cinéma, Todd Field revient enfin et s’attaque à un “faux-biopic” d’une gigantesque figure du monde de la musique classique. Le film fait sa première mondiale à la prestigieuse Mostra de Venise où son interprète principal, l’immense Cate Blanchett, en ressort avec la magnifique consécration du prix d’interprétation féminine. Ce biopic dramatique américain sort le 25 janvier en salle.
Un film qui échoue là où il aurait dû se démarquer…
Assez désarçonnante fut cette projection. J’avais énormément d’attentes pour ce projet après son triomphe retentissant à la Mostra de Venise et surtout dû à la présence d’Hildur Guðnadóttir à la composition musicale, qui est quand même la femme derrière la BO titanesque de Joker !
Dès la première séquence, une conférence théorique et assez conformiste d’une quinzaine de minutes, je suis directement pris de court et je me demande où le film compte m’emmener, car je ne m’étais pas préparer à cette empreinte et identité stylistique ancrée. C’est également dès cette scène d’ouverture que je réalise que le film aura une approche, un style et des ambitions bien différentes de mes attentes envers l’œuvre. A la sortie de la séance, je me suis retrouvé perdu, interrogatif, perplexe : tellement le film était parti vers des directions imprévues que je ne savais même pas si j’avais aimé ou non, et pour être totalement honnête, je ne sais toujours pas…
… son univers musical
Le film dans son ensemble fonctionne et instaure de vrais enjeux intéressants et pertinents à développer, mais j’ai sans doute louper le coche, je n’ai pas su, pas pu attraper la corde que le cinéaste m’avait lancée. Contrairement à un film comme Autour de minuit de Bertrand Tavernier, où l’amour inconditionnel pour le jazz est communicatif et même remarquablement transmissible, ici avec la musique classique que j’affectionne pourtant j’ai été vite noyé par les références, concepts et notions traités dans le film. L’impression de voir un film consacré uniquement aux puristes, aux experts et excluant sans trop de remords les non-initiés…
Résultat, on a vite le sentiment que le film nous juge, où plutôt nous fait comprendre qu’on ne fait pas partie de ce monde/sphère là et qu’on en fera jamais parti, et cette mise à l’écart que j’ai ressentie, qui est je l’imagine non-voulu par Todd Field, m’a fait me sentir moins concerné par ce que le récit essayé de me faire passer. Et un certain nombre d’éléments tendent vers cela : que ce soit le jeu et la direction des acteurs, la construction des scènes et leurs dialogues à rallonge, c’est une réelle distanciation qui est installée entre l’univers, les personnages, la ville, les enjeux etc… et le spectateur. Pour rebondir sur l’écriture et la construction des scènes, cette volonté de parler, parler et encore et toujours parler est sans doute la bascule où le film se perd et bute.
Et comment parler de Tár, sans parler de Cate Blanchett ? Le film existe, et se nourrit d’elle, comme une certaine fontaine de jouvence démoniaque. Elle vole pratiquement la vedette au film tant on s’intéresse plus à elle qu’aux autres choses que le film essaye de raconter/mettre en place. Cate Blanchett est un personnage labyrinthe dans ce film : où qu’on aille, quoi qu’on fasse, on finit toujours au même endroit, dans le labyrinthe, face à Cate Blanchett…
Tod Field a voulu proposer quelque chose, j’en voulais une toute autre. Et à partir de ce moment c’est assez dur de s’attacher à un film et une vision créative.

La signification et le sens du pouvoir …
Mais quand je mets mes déceptions et interrogations de côtés, me reviennent en tête, comme une couleur ressortissant sur une toile abstraite, les points où le film, non pas par sa forme et son style mais par son propos, installe de vraies belles ambitions narratives. Pour moi, là où le film excelle c’est la construction ou plutôt la déconstruction du personnage de Lydia Tár. A l’heure où l’on montre souvent au cinéma la chute d’un homme, d’une idéologie ou d’un système, c’est ici la chute d’une femme qui est mise en scène. En créant un personnage qui possède tout, réussit tout et vise les sommets, le réalisateur brille en faisant tout valser. La manière dont cette descente aux enfers humaine et artistique est montrée dessine un monde, moderne et actuel, où n’importe quelle personne, n’importe quelle sommité peut tout perdre en une fraction de seconde…
… à travers la chute d’une icône
En y réfléchissant un peu plus, je vois ce film comme un film sur la perte, sur le pouvoir, son impact, ses conséquences et ses penchants destructeurs/autodestructeurs. Tous les personnages, à l’instar de celui incarné par notre national Noémie Merlant qui en est un symbole, vivent et existent dans l’espoir, l’optique de devenir quelqu’un, d’obtenir quelque chose, d’être aux yeux d’une personne. Cette idée d’appartenance, prenant énormément de formes différentes et de place durant le récit, nous fait nous questionner sur la réelle valeur des choses, et sur ce qui compte réellement.
En prenant ce prisme-là, le prisme d’une démonstration des jeux de pouvoirs incontrôlables au sein d’un monde et ses effets, le film trouve sa voie, son sens et son utilité. Mais là où il réussit à devenir intéressant et passionnant sur ce qu’il n’était pas censé être naturellement, le film bloque sur son univers musical, trop pauvre à mon goût, avec trop peu de vraies intentions sonores vers quoi le film pourrait tendre…
Voila, c’est un sentiment partagé très déstabilisant que j’ai au fond de moi quand je parle de Tár, car concrètement je pense avoir aimé le film, mais j’ai l’impression d’être au milieu de ce que le film aurait dû, est et voulu être… Comme un film entre deux ambitions, deux volontés ou tout simplement un film qui n’a pas cliqué en moi comme je l’espérais. Je vais être assez contradictoire, mais c’est peut être ma première grosse déception de 2023, même s’il est globalement réussit, mais j’en attendais tellement plus, tellement autre chose…
PS : Noémie Merlant est l’une de nos Queens montantes et je l’aime d’amour.

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