Yannick : En pleine représentation de la pièce « Le Cocu », un très mauvais boulevard, Yannick se lève et interrompt le spectacle pour reprendre la soirée en main…

Yannick
Quentin Dupieux opère un retour à la réalité après s’être embarqué dans le pastiche de super sentai. Ce retour ne se fait cependant pas dans un environnement réel, mais dans une salle de théâtre, lieu où un public vient contempler des comédiens mimant la vie. Le théâtre est le cadre parfait pour le réalisateur de l’absurde qu’est Dupieux, lui qui de coutume fait intervenir des personnages fantasques dans l’immense scène de sa filmographie. Cette comédie française est sortie au cinéma le 2 août 2023.
Le droit de parole
Au cœur d’une pièce de théâtre de boulevard, Yannick, un personnage extravagant, brise la règle d’étiquette la plus fondamentale de cet art : celle de ne pas intervenir au milieu d’une représentation.
Des mots de l’homme, une pièce est l’égal d’une prise d’otage, en d’autres mots c’est un dialogue en sens unique entre les comédiens et les spectateurs. En brisant cette règle tacite, Yannick fait le lien entre les deux en s’élevant à la hauteur des comédiens sur scène, et casse dans le même temps la réalisation théâtrale du métrage.
Il devient ainsi lui-même un personnage de théâtre, alternant le rôle de metteur en scène et de comédien tout en promulguant moult monologues. Néanmoins, à la différence des comédiens, il va peu à peu entamer une discussion avec certains membres du public, faisant carrément oublier l’action se déroulant sur scène.
Yannick a ainsi atteint son objectif. En se levant de son siège, il a fait un acte de protestation contre la qualité de la pièce. De par son intrigue, le jeu des comédiens et par la réalisation d’une grande neutralité, nous ne pouvons que comprendre son agacement.
Enlever le masque
Le trouble-fête va complètement sublimer les comédiens et la réalisation. Quand le personnage de Pio Marmai le confronte, se dégage un sentiment de supériorité via une contre-plongée qui était inexistante auparavant, en étant simplement lui-même.
Dans un sens, en révélant son vrai visage, il s’émancipe de son rôle social et devient lui aussi comme Yannick. Ce passage est aussi utile pour montrer le talent des acteurs entourant Raphaël Quenard, celui-ci, bien qu’il prenne la lumière, n’étant pas le seul à briller.
L’Homme qui voulut être artiste
La pièce écrite par Yannick accentuera cet aspect avec une réalisation différente, créant une osmose entre les comédiens, le public et le metteur en scène d’un soir. Ce qu’a écrit ce dernier est le reflet du cinéma de Dupieux. La pièce possède une intrigue absurde, voire idiote, où se terre derrière les rires un message profond. Celle-ci est aussi le reflet de Yannick, l’homme dévoilant ce qui lui manque le plus : l’amour.
L’exécution est peu subtile, toutefois cela fonctionne car bien qu’il n’ait fait que parler, il dialogue à la fin avec le public par son art tel un véritable artiste. L’homme a prouvé qu’il méritait ce buste à son effigie présent dans le générique de début, le buste d’un dramaturge grec.

Qu’est-ce l’art ?
Dupieux fait intervenir dans Yannick un personnage faisant partie de la « masse ». En effet, il appartient à la catégorie de personne n’allant au théâtre – ou même au cinéma – que pour s’évader et se faire du bien.
Yannick est plus ou moins du genre à rentrer du travail et se mettre une série pour se divertir. Malgré ce constat, son intervention nous questionne sur la place de l’art dans notre vie. Face à ce questionnement, le métrage nous donne rapidement une réponse : elle est subjective.
Une œuvre d’art peut porter plusieurs costumes. Dans le cas de Yannick, elle est un moyen pour lui de braver ses problèmes, mais aussi sa propre mortalité. Pour lui, cela va mal lorsqu’une œuvre ne réussi pas à le faire.
L’art est ainsi réduit à un artisanat. À l’image d’un travail, il se doit d’être bien exécuté. Dans le cas contraire, il n’aurait aucun sens à être montré, et n’offrirait juste qu’une perte de temps.
S’échapper de sa condition
Alors que le film pourrait jouer la facilité, il nous présente à l’inverse un personnage qui, malgré son parlé et son attitude, n’est pas idiot. Yannick est conscient que la pièce pour laquelle il s’est déplacé est nulle et que, dans un sens, le maintient dans sa condition.
Son intervention forme alors un acte de rébellion face à qu’on lui propose. Le paradoxe est que les comédiens savent qu’ils jouent dans une pièce médiocre et se mentent à eux-mêmes en disant que c’est de l’art. En faisant ça, ils sont pires que Yannick car ils sont davantage conditionnés que lui.
Enfin, nous pourrions faire un parallèle évident avec le cinéma grand public souvent lamentable que pourtant nous continuons à regarder. Si au fond nous sommes tous des Yannick, finalement nous n’avons pas son courage.
Avec Yannick, Dupieux nous offre un essai absurde sur l’art et son impact sur ceux qui l’observent. C’est un film surprise qui n’en peut être qu’une bonne. Le réalisateur se place en maître du temps, gérant l’heure de cette représentation théâtrale avec brio, entre humour, réflexion et émotion.

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