War Pony : Deux jeunes hommes de la tribu Oglala Lakota vivent dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Bill, 23 ans, cherche à joindre les deux bouts à tout prix. Matho, 12 ans, est quant à lui impatient de devenir un homme. Liés par leur quête d’appartenance à une société qui leur est hostile, ils tentent de tracer leur propre voie vers l’âge adulte.

War Pony
Caméra d’Or à Cannes 2022, le premier long-métrage réalisé par Riley Keough et Gina Gamell se place comme le porte-parole de ceux que nous n’entendons pas : les Amérindiens. Ce drame américain est sorti le 10 mai 2023 au cinéma.
La conquête de l’Ouest moderne
War Pony, de par son intrigue, traite de personnes et de lieux dont nous ne parlons jamais : les réserves indiennes nord-américaines. Dans l’histoire du cinéma, les Indiens ont très souvent été catégorisés dans la case des westerns. Ici, nous sommes complètement aux antipodes des codes du genre.
Au vu du cadre, il y a évidemment de grands espaces – quelques fois sublimes –, toutefois nous ne faisons qu’étouffer. La voiture de Bill, la décharge, la fumée, et les habitations nous suffoquent. Cela n’est aucunement aidé par la réalisation qui fait des plans très serrés sur les personnages, les enfermant encore plus qu’ils ne le sont déjà. Subsiste néanmoins des plans d’ensemble pour donner une image de liberté, cependant ils sont souvent faits sur les terres de Tim, un entrepreneur blanc, marquant la mainmise américaine sur cette nature. En effet, bien que nous côtoyions des natifs, nous restons aux États-Unis. La réserve, censée être un lieu appartenant aux Indiens, est américanisée.
Nous pouvons contempler cette américanisation via les vêtements, le mobilier, la présence de la religion chrétienne et de la drogue, à l’instar d’un Breaking Bad où les Indiens ont remplacés les Mexicains. Le capitalisme a atteint cette réserve au sein même des foyers, avec comme symbole ultime la collection de figurines Fortnite de Matho, tenues comme des statuettes ancestrales. C’est dans ce contexte que nous suivons ce dernier et Bill, deux jeunes qui vont essayer de se dépêtrer de cette vie
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Pour les gens comme eux, le rêve américain n’existe pas
Durant l’entièreté du métrage nous allons suivre en montage alterné ces deux jeunes. Ainsi, nous allons vivre deux situations différentes, mais un seul destin qui va de cesse de se croiser. Chacun va, à sa manière, tenter de s’en sortir et de vivre une sorte de rêve américain vendu par les films et les séries occidentales.
Matho est un enfant étant dans le mimétisme de ce que font son père et les autres adultes. Dans cette optique, il va s’embourber dans une situation qui ne doit aucunement concerner une personne de son âge. Bill, lui, va mettre en place un business d’élevage de chiot et va s’en sortir en travaillant pour Tim. Les deux vont malgré tout réussir dans leurs entreprises comme le souligne un montage à la Scarface de Brian De Palma où nous observons les deux jeunes engranger de l’argent. Cependant, cette réussite n’est qu’illusoire.
Si la situation de Matho va prendre une tournure terrible, celle de Bill est d’autant plus froide sur la condition des Indiens aux États-Unis. Le jeune adulte travaille pour un riche entrepreneur blanc qui va lui faire croire qu’il a lui aussi droit à ce qu’il a. Bill va ainsi peu à peu se muer comme son patron, aussi bien dans ses relations humaines ou animales. Un certain équilibre se crée entre eux, sauf que ce n’est pas le cas. La réalité va frapper le jeune Indien, les Américains étant présentés comme supérieurs à eux. Bill s’est ainsi fait avoir par des rêves qu’en tant qu’Indien il ne pourra jamais atteindre. Pris dans cette chimère, que ce soit lui ou Matho, vont s’éloigner de leurs racines.

Un héritage en péril
Le lien avec l’origine des Indiens est amorcé dès le début du métrage avec un ancien faisant une incantation. La séquence suivante va casser cette image avec Bill en voiture roulant devant des gens à chevaux montrant qu’il est loin de ce qu’il est. Nous retrouverons plus ou moins la même idée avec Matho lorsqu’il marche dans les couloirs de son école avec une fresque derrière lui faisant la part belle aux Indiens du XIXe siècle.
Pour poursuivre avec l’enfant, son éloignement de ses racines se fait aussi par sa relation avec sa copine. Cette dernière est proche de ses ancêtres en participant notamment à des fêtes ancestrales. Lorsqu’elle discute avec Matho après une de celles-ci, les deux sont séparés aussi bien par l’arbre en plan d’ensemble que par le champ/contrechamp lors de plans plus serrés. Pour Bill, l’éloignement est plus direct et concerne sa famille. Quand il ramène une fille mal en point chez lui, ses proches font des incantations, mais lui n’est pas dans le plan. Tout deux ayant oublié ce qu’ils sont, les animaux vont alors être ceux qui vont le leurs rappeler.
La symbolique animale
Les chiens sont les premiers que nous observons, ceux-ci étant présents libres comme l’air durant la première séquence avant d’être enfermés par la suite. Malgré ce dernier point, ils seront constamment présents par leurs aboiements qui fonctionnent tels des plaintes lancées vers les deux protagonistes. Des deux, ce sera néanmoins Bill qui sera au plus proche d’eux, mais il le fera pour une mauvaise cause : une cause vénale. C’est alors qu’intervient un autre animal : le bison.
Il est l’animal qui symbolise les ancêtres de par le fait qu’ils ont été exterminé par les Américains, leurs liens avec les natifs étant presque naturels. Ici, le bison fait acte de juge face à ce que font les protagonistes. Les deux vont alors atteindre la limite, et elle sera atteinte de manière tragique, tout deux ayant “tués” ce qu’ils sont. Toutefois, ce sera un mal pour un bien car les deux vont se rendre compte de ce qu’ils ont fait et plonger le métrage dans un certain mysticisme. Chacun va alors devoir renouer avec ce qu’ils ont été, renouer avec le bison.
War Pony est une œuvre nécessaire dans une Amérique ayant oublié ceux qui étaient là avant. Avec une sublime dureté, nous observons le destin de ces personnes si proches de nous mais qui, justement, ne devraient pas l’être. Les réserves indiennes seront de nouveau mises sur le devant de la scène au cours de l’année via le prochain film de Martin Scorsese, en espérant qu’il sera aussi puissant dans ses propos que ce War Pony.

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