Il y a dans le cinéma de Jafar Panahi une obstination qui force l’admiration : celle d’un homme qui filme parce qu’il ne peut pas faire autrement. Après des années d’interdiction, de prison et d’exil intérieur, Un simple accident marque un retour au monde extérieur – sans jamais quitter l’intime. Le film commence par un hasard, mais tout y semble inévitable : un homme reconnaît dans la rue celui qu’il croit être son ancien tortionnaire. Le doute s’installe, et avec lui, la tragédie silencieuse d’un pays en proie à ses contradictions.
Un film hanté par la prison et la mémoire
Panahi le dit lui-même : ce film, il le doit à ceux qu’il a laissés derrière les murs. L’idée – qu’un ancien prisonnier retrouve son bourreau – est simple. Mais sous cette trame minimaliste se déploie une réflexion sur la mémoire, la culpabilité et la justice impossible. Le protagoniste, Vahid, ouvrier ordinaire, ne cherche pas la vengeance par goût de violence, mais parce qu’il ne sait plus comment vivre ce qu’il a subi.
Le réalisateur filme ces visages du peuple, traversés par la peur et la colère. Les regards se soutiennent, s’évitent, se dérobent, dans des cadres qui enferment plus qu’ils ne libèrent. Chaque plan semble chargé de la tension d’un pays qui retient son souffle.
Le régime, les gardiens et les fractures de l’opposition
Ce qui impressionne le plus, c’est la lucidité politique du film. Panahi ose une critique rare : celle d’un régime qui, à travers le corps des Gardiens de la Révolution, a fait du contrôle une seconde nature. Mais il ne s’arrête pas là. Le cinéaste regarde aussi l’opposition, éclatée, divisée, incapable de parler d’une seule voix. Dans les dialogues entre Vahid, Shiva et Hamid – anciens détenus aux parcours divergents – s’exprime une vérité douloureuse : vouloir la liberté ne suffit pas quand chacun la rêve différemment.
Panahi ne choisit pas de camp, il observe. Son film montre une société où la résistance est multiple, parfois contradictoire, mais toujours profondément humaine. On y voit des figures brisées, d’autres debout, toutes traversées par un même vertige : comment reconstruire quelque chose quand tout a été détruit ?
Une mise en scène de la tension et du doute
La mise en scène, plus nerveuse et expressive que dans ses précédents films, épouse l’état des personnages. Les cadres s’ouvrent et se resserrent, les plans s’allongent à mesure que la confrontation devient inévitable. Panahi n’utilise jamais la violence comme spectacle : il la suggère, la devine, la laisse vibrer dans les silences.
La photographie d’Amin Jafari capte une lumière terne, presque poussiéreuse, comme si tout l’Iran respirait dans un entre-deux – ni la nuit totale, ni le jour espéré. Les visages filmés de près disent plus que les discours : la fatigue d’un peuple, mais aussi son courage obstiné.
Une humanité qui résiste
Malgré la noirceur du propos, Un simple accident ne se résume pas à un réquisitoire. C’est un film profondément humain, où la rédemption passe par la reconnaissance de l’autre, même de l’ennemi. Quand Vahid et Eghbal partagent enfin le même cadre, Panahi touche à quelque chose d’universel : la possibilité, infime mais réelle, de briser le cycle de la haine.

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