Critique de Else : la fusion des genres et des êtres dans un huis clos organique

Avec Else, Thibault Emin signe un premier long-métrage aussi audacieux que singulier. Porté par deux acteurs inconnus mais bouleversants, le film mêle science-fiction, drame intime et réflexion philosophique dans une atmosphère sensorielle hors du commun.

Une genèse atypique

Contrairement à ce que son sujet pourrait laisser croire, Else ne puise pas son inspiration dans la pandémie de Covid-19. Le point de départ du film remonte aux années d’études de Thibault Emin à la Fémis, où il réalise un court-métrage du même nom. Face à l’accueil mitigé de ses autres projets, c’est ce script de secours, son “joker”, qui finit par se transformer en long-métrage après treize années de maturation.

Cette longue gestation permet à Emin d’explorer en profondeur sa vision : un cinéma de l’émotion, de la transformation et de la perte, traversé par un imaginaire hérité de Lynch, Cronenberg ou Jodorowsky. Le film devient ainsi un manifeste de sa “doctrine métamorphiste”, une philosophie de la fusion, de l’abolition des frontières entre les genres, les êtres et les sensibilités.

Un huis clos sensoriel

Else est un film qui se vit autant qu’il se regarde. La mise en scène évolue au fil du récit, multipliant les mutations formelles : changement de formats, travail du grain, évolution des couleurs jusqu’au noir et blanc, et enfin retour à des teintes luxuriantes. Chaque étape correspond à une transformation psychologique ou physique des personnages, notamment Cass, interprétée par Edith Proust, dont la fusion avec un drap symbolise une forme de point de non-retour.

Le réalisateur décrit ce parcours comme une traversée du deuil : au fur et à mesure que la couleur disparaît de l’image, c’est une forme de réalité qui s’éteint. Mais dans cette austérité surgit aussi une beauté nouvelle. Le film propose ainsi un dépassement, une renaissance sensorielle, qui culmine dans les dernières images, vibrantes et troublantes.

Une direction artistique audacieuse

Malgré un budget modeste, Else impressionne par la qualité de ses effets spéciaux, en particulier les maquillages. Refusant le recours au storyboard pour certaines séquences, Emin choisit de travailler dans la spontanéité avec ses maquilleuses Florence Thonet et Anne Van Nyen, bricolant dans l’urgence des effets d’une efficacité saisissante. Cette approche artisanale renforce la texture organique du film, sa proximité presque tactile avec le corps et la matière.

La direction artistique accompagne ce travail d’immersion. L’appartement d’Anx devient un monde en soi, un microcosme saturé de détails, où chaque objet peut devenir le vecteur d’une fusion ou d’un danger. Le son, quant à lui, participe à cette sensation d’enfermement et de perte de repères.

Un film de genre profondément personnel

Au-delà de sa dimension fantastique, Else est aussi un film de deuil. Celui du réalisateur lui-même, qui a perdu sa mère à 19 ans et qui, à travers ce récit, cherche une voie de réconciliation avec l’absence. L’imaginaire devient ici un langage émotionnel, un prisme par lequel les spectateurs peuvent accéder à une douleur intime, universelle et pourtant profondément singulière.

En refusant le manichéisme classique de la science-fiction (l’autre comme menace), Else propose une vision différente de l’altérité : ni bonne, ni mauvaise, simplement étrangère, bouleversante. L’“Else” du titre, c’est cette possibilité radicale : un devenir-autre, une ouverture à l’inattendu.

Conclusion

Rarement un premier film aura autant bousculé les codes. Else est une œuvre de mutation, à tous les niveaux : du genre, de l’image, du corps, de la psyché. Une proposition audacieuse qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui marquera profondément celles et ceux qui accepteront de s’y abandonner. Thibault Emin livre un film unique, viscéral, qui inaugure peut-être une nouvelle manière de faire du cinéma de science-fiction en France : intime, poétique, et puissamment incarné.

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