Avec Chime, Kiyoshi Kurosawa revient au cinéma d’horreur dans un format atypique : un moyen métrage de 46 minutes, dense et saisissant, présenté en avant-première à la Berlinale 2024. Ce film bref mais intense raconte l’histoire de Tashiro, un étudiant perturbé, convaincu qu’un mystérieux carillon a été greffé à son cerveau. Son professeur de cuisine, Matsuoka, tente de l’aider. Mais le son devient de plus en plus fort, jusqu’au basculement irréversible.
Une esthétique du malaise
Kurosawa s’empare ici d’un décor inattendu : une école de cuisine. Loin d’être anodine, cette salle de classe, pleine d’ustensiles tranchants, devient le théâtre d’un huis clos oppressant où la tension monte à mesure que le « Chime » résonne. Le réalisateur l’explique lui-même : cet environnement, visuellement simple mais chargé symboliquement, est propice aux glissements vers la violence et la perte de repères.
Le choix d’un moyen métrage permet à Kurosawa de concentrer son propos, d’éviter les explications superflues et de s’octroyer une liberté de ton rare. La fin abrupte, presque suspendue, souligne cette radicalité narrative. Chime refuse le confort d’une résolution pour mieux maintenir son spectateur dans l’inconfort.
Le fantôme comme prisme moral
Dans la veine de Kaïro ou Cure, Chime interroge la notion même de présence : le fantôme n’est pas qu’un effet de style, il devient la métaphore de la conscience torturée du protagoniste. Kurosawa décrit trois limites que franchit son personnage principal : la loi, la morale, et la conscience. La peur de ces transgressions façonne le récit et innerve chaque séquence.
Le surnaturel s’impose progressivement dans le champ, devenant une réalité tangible. L’invisible, l’indécidable, l’imperceptible deviennent plus angoissants que toute manifestation physique. En cela, Kurosawa retrouve ici l’essence de son cinéma : une horreur diffuse, mentale, lente mais implacable.
Une œuvre traversée par le son
Le « Chime », au cœur du film, est aussi un parti pris sonore. Pour Kurosawa, le son occupe une place supérieure à l’image. Il le dit lui-même : « Le son est précieux, puissant ». Ce carillon invisible est une intrusion, un parasite, une manifestation de la folie – ou peut-être d’une autre réalité. Le travail sonore de Chime enrichit les images sans les dominer, participant à l’installation d’un climat d’angoisse sourde.
Conclusion : un chef-d’œuvre miniature
Avec Chime, Kiyoshi Kurosawa livre un film court mais magistral, à la croisée du drame psychologique et du film de fantôme. Sa mise en scène précise, son usage du son, son refus du spectaculaire au profit du trouble intérieur, font de ce moyen métrage une œuvre singulière et nécessaire. Une méditation sur la culpabilité, la transgression et la perception, qui résonnera longtemps chez le spectateur — comme un carillon qu’on n’arrive plus à faire taire.

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