Présenté en avant-première mondiale dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2024, The Shameless a immédiatement marqué les esprits. Le film a révélé au grand public l’actrice Anasuya Sengupta, récompensée par le Prix d’interprétation féminine pour son rôle bouleversant de Renuka. Ce long-métrage du cinéaste bulgo-américain Konstantin Bojanov s’impose comme une œuvre forte, sensorielle et politique, entre fable contemporaine et néo-film noir.
Un voyage initiatique et transgressif
Tourné entièrement en hindi, The Shameless est inspiré du livre Nine Lives de l’historien britannique William Dalrymple. Il met en scène Renuka, qui se cache dans une communauté de prostituées du nord de l’Inde, et sa rencontre avec Devika, une jeune femme que sa mère veut marier de force. À travers ces deux figures féminines marginales, le film interroge l’amour, le libre arbitre et l’identité dans une société indienne profondément divisée par les castes, les traditions religieuses et les injonctions politiques.
Une narration en quatre actes
Le récit s’articule en quatre parties distinctes, chacune adoptant un ton et une texture propres. Cette structure rappelle Vol au-dessus d’un nid de coucou, référence revendiquée par Bojanov, tant dans la dynamique entre les personnages que dans la construction fragmentée de la narration. Le film glisse progressivement du drame intime vers un thriller halluciné, flirtant parfois avec le surnaturel à travers des visions oniriques avec un usage audacieux des filtres colorés
Un tournage habité par le réel
Konstantin Bojanov a pris soin de s’entourer de nombreux consultants culturels pour ancrer son récit dans une réalité complexe. The Shameless puise sa force dans des situations bien réelles : la violence faite aux femmes, le poids des traditions, les conditions de vie dans les ashrams ou encore la difficulté d’échapper à un destin socialement assigné.
Le casting a permis de révéler la puissance du duo formé par Anasuya Sengupta et Omara Shetty. Leur jeu a de la justesse et de la tension dramatique.
Renuka : entre mythe et réalité
Le personnage de Renuka s’inspire en partie d’Aileen Wuornos, célèbre tueuse en série américaine déjà portée à l’écran dans Monster avec Charlize Theron. Bojanov ne cherche pas à glorifier ou diaboliser son héroïne, mais à explorer la complexité d’une femme marquée par les abus, l’abandon et la rage de survivre. La scène finale renvoie à une réalité glaçante : celle de femmes lynchées pour avoir « transgressé » des normes sociales ou religieuses.
Un film noir d’un nouveau genre
Plus qu’un drame social, The Shameless est un néo film-noir, comme le décrit lui-même son réalisateur. La fatalité y pèse sur les épaules des protagonistes, et l’issue tragique semble inévitable. Le film convoque les codes du genre tout en les réinventant dans un contexte indien rarement exploré sur nos écrans.
Une esthétique immersive
L’image, soignée et enveloppante, invite le spectateur à plonger dans un univers à la fois familier et déroutant. Bojanov s’inspire de la froideur contemplative de certains cinéastes japonais contemporains, et aspire à créer un espace sensoriel, presque méditatif.
En conclusion
The Shameless est un film courageux, puissant, d’une rare intensité émotionnelle. Il allie une réflexion profonde sur la condition des femmes et des castes en Inde à une mise en scène maîtrisée, oscillant entre réalisme cru et poésie visuelle. Avec cette œuvre, Konstantin Bojanov affirme un cinéma libre, politique, habité par le désir de raconter des histoires invisibles. Un coup de poing cinématographique à ne pas manquer.

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