Présenté hors-compétition au Festival de Cannes 2024, le film à six mains de Guy Maddin, Evan Johnson et Galen Johnson transforme le huis clos diplomatique en fable grotesque et anxiogène. Un sommet du G7 devient théâtre de survie et de chaos, où les mots perdent leur poids et où les puissants révèlent leur impuissance.
Une création collective, organique et expérimentale
Depuis Le Brouillard vert ou La Chambre interdite, Maddin et les frères Johnson ont affiné une manière de travailler en trio, une sorte de micro-studio où l’écriture, la réalisation, le montage et même les effets spéciaux se font en interne. Cette dynamique, à la fois artisanale et profondément collaborative, irrigue Rumours, nuit blanche au sommet dès sa genèse : le film raconte l’histoire de dirigeants mondiaux réunis pour écrire une déclaration commune… Une mission impossible, où l’accord se dérobe à mesure que les tensions montent et que la réalité s’effondre.
Les cinéastes confient avoir puisé dans leurs propres frictions créatives l’inspiration du récit. Entre collaboration foireuse et génie collectif, le film interroge les mécanismes de la prise de parole collective – et son échec.
Un scénario écrit en transe
C’est Evan Johnson qui a mis en forme le scénario, dans une “transe scénaristique” de deux semaines, écrivant jusqu’à dix pages par jour. Le résultat, nourri d’un humour absurde et de dialogues souvent inchangés depuis l’écriture, est porté par une langue volontairement ampoulée, diplomatique, souvent vide de sens. Le décalage entre la gravité du ton et l’absurdité de la situation crée une dissonance permanente, nourrissant une ambiance à la fois burlesque et inquiétante.
Un G7 fantasmé, entre opéra grotesque et théâtre de l’absurde
Le sommet du G7 n’est ici qu’un prétexte. Les réalisateurs le choisissent non pas pour ses enjeux géopolitiques, mais pour son potentiel comique : ces réunions de puissants en costume, dans des salles stériles ornées de drapeaux flasques, deviennent le décor d’un théâtre de l’impuissance. Le drame ? Il n’est pas politique, mais physique : la menace n’est pas idéologique, mais existentielle. Ces chefs d’État doivent lutter, non pour leurs pays, mais pour leur propre survie – dans une forêt obscure, hors du langage.
Cate Blanchett, puissance tranquille
Actrice centrale et productrice exécutive, Cate Blanchett incarne plus qu’un rôle : elle incarne une autorité. Sa présence sur le plateau a permis de fédérer les financements et de convaincre le reste du casting. Mais au lieu d’imposer une domination, elle choisit de soutenir les réalisateurs, de “leur prêter son pouvoir”, comme ils le disent eux-mêmes. Un geste rare à ce niveau de notoriété.
Une mise en scène au scalpel
Si le film semble confiné – sept personnages, un seul lieu – le tournage fut tout sauf simple. Chaque scène, chaque échange à plusieurs voix nécessitait de multiples prises, et les contraintes techniques, malgré un budget plus élevé qu’à l’accoutumée, se sont avérées étouffantes. Le trio évoque une course contre la montre constante, loin de la liberté qu’ils expérimentaient sur leurs œuvres plus confidentielles. Ce paradoxe – plus d’argent, mais moins de souplesse – nourrit aussi le propos du film : le pouvoir est souvent une entrave.
Une fausse satire, un vrai rêve éveillé
Rumours n’est pas une satire politique au sens traditionnel. Les cinéastes se sont bien gardés d’attribuer une orientation idéologique à leurs personnages. Pourtant, le simple fait de mettre en scène des dirigeants dépassés par la nature ou par l’impossibilité de se comprendre suffit à provoquer le rire. À Cannes, les spectateurs riaient – parfois à leurs dépens.
Les réalisateurs évoquent Sokourov comme inspiration majeure : un cinéma de l’ambiance, de l’errance, du mystère. Rumours emprunte à ce style une lenteur hypnotique, une poésie onirique, loin des comédies politiques à la Iannucci. Le film est drôle, oui, mais d’un humour diffus, incertain, presque involontaire.

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