Critique de Ingeborg Bachmann : Vicky Krieps entre passion et émancipation

Avec Ingeborg Bachmann, Margarethe von Trotta poursuit son exploration de figures féminines marquantes du XXe siècle. Après Rosa Luxemburg, Hannah Arendt ou Hildegard von Bingen, la cinéaste allemande consacre un film délicat et poignant à l’une des plus grandes voix de la poésie germanophone : Ingeborg Bachmann.

Une œuvre sous le signe du contraste

Construit en deux temps narratifs – les années d’amour tumultueux entre Bachmann et le dramaturge Max Frisch, et un voyage de renaissance dans le désert avec le jeune Adolf Opel – le film déploie une structure en flashbacks qui épouse les mouvements intérieurs de son héroïne. La lumière, élément central de la mise en scène, reflète l’état psychologique de la poétesse : nuit angoissée, clarté aveuglante du désert, gris des villes européennes.

Von Trotta ne cherche pas à dresser un portrait total de Bachmann, mais à capter une période charnière : six années durant lesquelles l’artiste, tout en vivant une passion dévorante, tente de préserver sa liberté intérieure et sa voix littéraire. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : comment une femme, écrivaine reconnue mais encore entravée par les normes patriarcales des années 50-60, lutte pour faire coexister amour, création et indépendance.

Un couple d’acteurs à la hauteur du vertige

Vicky Krieps, lumineuse, intense, insaisissable, incarne Bachmann avec une justesse rare. On la sent tour à tour blessée, ironique, brûlante de désir ou d’effroi. Face à elle, Ronald Zehrfeld donne à Max Frisch une densité complexe, entre admiration sincère et incapacité à accueillir la liberté de l’autre. Leur alchimie est saisissante, et leur confrontation, bouleversante.

Mention spéciale à Tobias Resch, dans le rôle d’Adolf Opel, dont la douceur contraste avec la relation précédente de Bachmann. C’est à travers lui que le film s’ouvre vers une promesse de réparation, même temporaire.

Un film profondément personnel

Ce projet est pour Margarethe von Trotta une affaire intime : elle avait déjà cité des textes de Bachmann dans ses films antérieurs, et leur unique rencontre à Rome en 1972 semble hanter son imaginaire depuis. Le film devient alors un geste de fidélité autant qu’un acte de transmission. Loin du biopic classique, il assume ses partis pris narratifs et visuels pour mieux capter la vibration intérieure d’une femme aux prises avec elle-même et son époque.

Conclusion

Ingeborg Bachmann est une œuvre exigeante, à la fois élégiaque et lumineuse, qui nous parle d’émancipation, d’écriture, de solitude et de renaissance. Avec sa mise en scène raffinée et son regard profondément humain, Margarethe von Trotta signe un film majeur sur le prix de la liberté.

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