Sinners : Deux jumeaux, Elijah et Elias, reviennent dans leur ville natale et essaient de laisser leur passé trouble derrière eux, mais ils découvrent qu’une menace encore plus grande les y attend.
AVIS GLOBAL
Le chant du cœur des Afro-Américains se fait une nouvelle fois entendre, une fois encore grâce à Ryan Coogler. Après Black Panther, le réalisateur signe un nouveau phénomène de société avec Sinners. La différence ici est que même si la représentation passe par la musique, celle-ci est stridente à en faire pleurer à la fois de plaisir et de douleur.

Nous sommes tous des pécheurs
Comme son nom l’indique, Sinners est peuplé de pécheurs. « We’re all sinners », comme le martèle la promotion, des noirs aux blancs, en passant par les croyants et par les vampires. Selon la communauté à laquelle nous appartenons, l’autre sera toujours un pécheur.
Situer l’intrigue en 1932 est donc un choix judicieux : au-delà de la ségrégation, qui va de soi, c’est une époque marquée par des divisions multiples. Pourtant, malgré cette impossibilité de se rejoindre, chaque camp aspire à la même chose : la liberté.
Un questionnement sur la liberté
Bien que voulue par tous, la façon d’atteindre la liberté est différente selon notre position : pour les blancs, le seul moyen d’y parvenir est de se libérer des personnes racisées ; pour ces dernières, c’est par l’obtention de l’égalité ; pour les chrétiens, c’est par la foi ; et pour ceux qui possèdent le pouvoir, comme les jumeaux SmokeStack, c’est tout simplement par l’argent.
Quant aux vampires, paradoxalement, ce sont ceux qui se rapprochent le plus de toutes ces réalités et qui, donc, sont les plus proches d’atteindre la liberté. Ils vivent en communauté, unis, et en harmonie. Ce sont des arguments en leur faveur, certes, mais qui vont à l’encontre même de ce qu’ils recherchent. Nous ne pouvons nous considérer libres si nous ne pouvons pas voir la lumière du soleil, si nous n’avons pas la liberté de pensée, et si nous nuisons à la liberté des vivants en les tuant.
La liberté est-elle donc impossible à atteindre ? Non, car il existe une autre voie. Sammie – et même Delta Slim – incarne une autre forme de liberté : faire ce qui nous plaît. C’est ainsi que pour vivre son rêve, Sammie va tenir sa guitare jusqu’au bout, peu importe qui se trouve face à lui. Le jeune homme n’a pas tort, car dans Sinners, la musique est synonyme de liberté.
La musique comme instrument de paix
Sinners n’est pas qu’un film de vampire, c’est aussi, et surtout, un film musical. La musique dans le film est ce qui permet de lier les êtres, les époques, la vie et le mort. Le plan-séquence sur « I Lied to You » – déjà devenue célèbre – est le symbole de cette union qui dépasse toute logique. Celle-ci se confronte naturellement à celle où Grace traverse la rue, le plan étant focalisé sur elle cernée par des réflexions racistes venant de toutes parts. Il entre aussi en résonance avec la séquence de chant des vampires qui est identique à celle durant la soirée, mais fragmentée en plusieurs plans, comme pour souligner qu’il manque encore quelque chose à cette unité.
C’est d’autant plus fort si nous prenons le point de vue de Sammie. Il est mal à l’aise à l’église, comme privé de sa liberté. Durant la soirée, il trouve une échappatoire par la musique en faisant littéralement brûler le lieu et en accédant au ciel. La musique, ici, ne fait pas qu’accompagner l’histoire : elle en raconte une. Le meilleur exemple en est sans doute le récit de Slim, qui évoque la mort d’un ami. Alors qu’il raconte oralement les événements, un air de blues s’élève, mais rapidement, ce sont les sons du drame qui prennent le dessus. Pour les faire taire, Slim se met à chanter. La musique agit ici comment un moyen de panser les plaies et de ne pas oublier, mais elle a aussi d’autres fonctions.
Elle sert à communiquer, mais aussi à affronter. Elle devient une arme, un territoire, une frontière. La musique est le point commun entre vampires, humains et chrétiens, toutefois elle marque aussi leurs divisions, chacun défendant sa paroisse.

Une grande messe musicale
Le blues, le folklore de la Louisiane et le hoodoo sont tous traités dans Sinners. En revanche, le film n’échappe pas à son titre et donc au christianisme. Nous passons donc par tous les symboles, par tous les commandements, et par tous les péchés : le serpent, le meurtre, l’adultère, l’avarice, la luxure, le mensonge, l’alcool… Personne n’y échappe, et pourtant chacun continue de prêcher sa vérité. Chaque groupe possède un « guide » entouré de fidèles, que ce soit le pasteur dans son église, Stack à la gare, ou Remmick dans les champs. Néanmoins, si l’on devait désigner les véritables « pécheurs » du titre, ce seraient sans doute Smoke et Stack.
De retour de Chicago, ce sont eux qui vont apporter une énorme dose de vice. Pourtant, ils vont être meilleurs que ceux à qui ils se référent. Nous retrouvons en eux l’écho de Caïn et Abel, sauf que, cette fois, l’irréparable ne sera jamais commis, chacun étant le gardien de son propre frère. Mais au milieu de tous ces guides, une figure semble manquer : celle du messie.
C’est sans doute Sammie qui s’en rapproche le plus. Bien qu’éloigné de l’église, il relie les êtres, possède un pouvoir surnaturel à travers sa musique, et apporte autour de lui un souffle de liberté. Même s’il refuse le jardin d’eden proposé par Smoke et la vie pieuse de son oncle, il va faire son baptême grâce à Remmick, un vampire. Finalement, Sammie est comme un Christ moderne, libérant du péché aussi bien les vivants que les morts, à une différence près : il n’aura vécu qu’une seule nuit en enfer.
Un duel à trois, mais surtout à deux
Trois camps s’affrontent dans Sinners, mais une dualité persiste. Elle est évidemment créée par le contexte du film. Difficile, en effet, de ne pas voir dans cette attaque de vampires une réminiscence du KKK s’en prenant aux Afro-Américains. C’est d’autant plus très clair, les premières créatures faisant partie du clan. Elles apparaissent au moment précis où les personnages commencent à entrevoir la liberté, où Sammie, par exemple, survole en voiture les champs de coton en voiture au lieu de marcher dedans. Cette séparation se traduit également par les symboles du soleil et de la lune, omniprésents dans le film.
Ces deux astres marquent la frontière entre les vivants et les morts, entre la lumière et l’ombre, entre le bleu et le rouge. Dans cette opposition, nous pensons immédiatement à Smoke et Stack. L’un est solaire, l’autre plus froid, ce qui nous laisse attendre à une confrontation inévitable. Cependant, en tant que frères jumeaux, ils restent unis peu importe le camp dans lequel ils sont, même lorsque nous croyons que leur union vacille. Qu’ils soient séparés par une porte ou par des plans pendant un combat, ils restent ensemble malgré tout. C’est en partie grâce à eux que Sinners parvient à pousser ces deux mondes à se rejoindre.
C’est ce qui advient à l’aube où, pendant un instant, tout devient égal. C’est encore plus visible durant le premier post-générique, les couleurs bleu et rouge se joignant dans le cadre et, une nouvelle fois, grâce à la musique. Ces instants de paix sont néanmoins éphémères. La fin, brutale, le rappelle avec un véritable bain de sang. La réconciliation est possible, mais elle est suspendue entre deux notes.

Conclusion
Sinners donne envie de chanter et de danser en ayant les larmes aux yeux. Le film interrompt parfois sa musique par des flashbacks mal placés et une volonté un peu trop appuyée de faire passer son message par les mots, surtout dans sa dernière partie. Malgré cela, il réussit à offrir ce que les personnages recherchaient : la liberté et l’union.
16 avril 2025 en salle | 2h 17min | Action, épouvante-horreur, thriller
De Ryan Coogle | Par Ryan Coogler
Avec Michael B. Jordan, Hailee Steinfeld, Miles Caton

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