Synopsis : Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
AVIS GLOBAL
Voilà ce qu’on peut appeler le projet d’une vie ! Ce film, Coppola le porte depuis un peu plus de quarante ans, où sa genèse remonte au moment du tournage de Apocalyspe Now. Alors que sa gestation, pour le moins difficile, où aucun studio ne souhaitait produire ce projet, semblait enterrer le rêve du réalisateur, ce dernier ne dira pas son dernier mot, allant faire ce que peu (voire aucun) de cinéastes osent faire : produire totalement leur film. Coppola aura tout fait pour faire ce film, jusqu’à vendre une partie de ses vignes, et nous y voilà !
Après un tournage décrit comme chaotique, une volonté de faire renaître des acteurs « cancelled« , des accusations d’agressions de la part de Coppola, et une première bande-annonce un poil frauduleuse, le cocktail semble déjà parti pour être un joyeux fiasco, d’autant si l’on prend les retours ultra divisés lors de sa projection au dernier Festival de Cannes, là où nous avons pu le découvrir. Mais alors, est-ce un crash baroque et grandiloquent ? Ou un manifeste incompris d’un réalisateur souvent à contre-courant ?
Megalopolis est sans conteste une œuvre dense, mais qui résume, peut-être bien tristement, la chute d’un réalisateur. Avec son récit boursouflé où le spectateur se perd dans un dédale abscons, le film se perd dans son carnet d’idées (parfois rance), pour un rendu brouillon. Si on ne peut pas enlever au film son audace d’un point de vue visuel, il est regrettable que cette audace soit d’aussi mauvais goût ! Entre des effets visuels désastreux, des plans qui manque de profondeur… Le métrage enchaîne les idées toujours plus farfelues ! Mais c’est peut-être dans ce flot nanardesque, que le film trouve un potentiel intérêt.

Un scénario bien confus, aux messages dépassés qui s’embourbe
Comme le « maître » Coppola l’a dit, il s’agit ici d’une fable, d’un récit dantesque à la portée universelle… Du moins, c’était l’idée ! Car, dans la pratique, on se rapproche davantage de la cacophonie scénaristique, que du récit choral parfait. C’est en plongeant dans une société proche de la nôtre, New Rome, et en mélangeant l’Amérique moderne et la chute de l’Empire Romain, que le récit prend son point de départ. Mais si une société au bord de son effondrement est fascinante sur le papier, les nombreux rajouts viennent parasiter le tout.
En effet, qui ne viendrait pas se perdre dans cet empilement d’intrigues ? Entre le combat de deux visions différentes pour l’avenir de New Rome, un complot bancaire, une course au pouvoir, une romance, des trahisons, et un cataclysme en approche… Il y a peut-être trop dans ce film, et ce trop reviendra souvent d’ailleurs. C’est une construction scénaristique ultra confuse qui s’érige sous nos yeux, où certains personnages attendent au moins 20 minutes avant d’être enfin introduits ; où les scènes s’enchaînent sans logique, et où les intrigues s’emmêlent de plus en plus, pour se conclure de manière grossière, laissant de côté la construction des personnages. C’est alors que le spectateur se demande dans quel bazar il s’est mis. Comment va-t-il parvenir à se dépêtrer de tout ce chaos ? Il ne pourra pas, alors autant ne pas lutter.

Tandis que le récit s’ankylose toujours un peu plus, n’hésitant pas à appuyer à coup de parallèles, peu subtils, avec la Rome Antique, le film ne parvient presque jamais à transcender son concept, réduisant sa vision à des frasques un poil simpliste, virant même à l’archétype par instants. Et de ce long tourment, presque fiévreux, vient se mêler une véritable ode à la mégalomanie de son créateur, n’hésitant pas à créer son double : Cesar Catalina (qui peut arrêter le temps, mais on ne saura jamais pourquoi, ni comment). Sans oublier les messages d’un autre temps, la représentation dépassé, et les dialogues navrants, nous venons à nous demander que se passe-t-il ici ? Est-ce une volonté consciente de perdre son spectateur dans un récit aussi confus, au goût rance, et sombrant dans le ridicule à plus d’un égard ? La question demeure.
Mais on ne peut enlever à Coppola sa volonté brûlante de dépeindre la chute de cette Amérique boursouflée où les parallèles lourds avec l’époque Romaine font écho avec des figures de notre époque… En venant ajouter un nouvel angle à analyser, le métrage continue son empilement d’ingrédients, risquant l’indigestion, mais encapsulant la ferveur de notre réalisateur.
Une hallucination visuelle déroutante… mais souvent décevante
Alors que son scénario nous entraîne dans un cauchemar d’écriture, est-ce que Coppola parvient à relever la barre avec ses idées visuelles ? Clairement, non, il ne s’agit que d’une nouvelle étape vers un naufrage qui semblait inévitable. Et bien que quelques instants nous laissent espérer une remontée inespérée, avec certaines scènes réussies, comme un Adam Driver au bord du vide, où le vertige fait son effet. L’ensemble enchaîne les effets visuels d’une qualité terrible, empile les idées de mauvais goût et nous assomme avec une volonté d’aller toujours plus loin dans le jamais-vu.

La photographie n’est pas toujours du meilleur effet et la mise en scène est pour le moins farfelue. Il semble que le film souffre de cette production chaotique, de ce projet qui traîne depuis des années, et qui a dû empiler au fil du temps, sans jamais n’avoir eu l’idée de faire le tri ! Au final, on se retrouve devant un amas de notes d’intention, mais qui peine à se matérialiser à l’écran, souffrant de ses propres excès. Comment ne pas cauchemarder face à l’immondice des effets visuels ici, nous renvoyant directement à l’âge sombre des CGI, où l’imaginaire de cette ville utopiste se heurte à une finition visuelle d’une sous-production étudiante, où le mauvais goût frise la blague tant sa profusion en devient absurde.
Comme un rêve fiévreux, ou un mauvais trip hallucinogène, la descente ne s’arrête pas là. Car si les passages où les effets numériques bavent atrocement peuvent heurter la sensibilité de certains, il est désolant de voir un manque aussi cruel de cohérence sur le plan visuel. Que ce soit avec une photographie étouffante, ne rendant pas grâce aux scènes, ou ces jeux de lumières rapprochant davantage le métrage de la pub Armani que du grand chef d’œuvre espéré, ou bien dans ces transitions qui nous rappellent nos meilleures présentations PowerPoint, tant la qualité de ces dernières est équivalente, le métrage souffre de ses trop nombreux défauts, de ces effets désastreux, de ses idées de mise en scène hasardeuse. Il semble clair que Coppola ne parvient pas à trouver le bon équilibre, ni même à venir transcender son projet à l’écran.

Et si… le film était au final un baroud d’honneur incompris ?
Bien que les défauts évidents du film crèvent les yeux, et l’égotrip aux messages un poil périmés détruisent ce métrage. Comment ne pas être fasciné par cet étrange naufrage ? Et si nous avions là un manifeste un peu incompris, qui nous hantera encore ?
Car ici, nous avons plus que le projet d’une vie, mais peut-être la quintessence du geste créatif. Il ne fait aucun doute que Coppola se voit en Cesar Catalina, cet architecte, qui suspend le temps, fige ses créations, et n’a qu’un souhait : parfaire sa vision. Dans ce flot où le réalisateur semble vouloir explorer toute la puissance du cinéma dans ce film aux allures et aux proportions monstrueuses, il vient tout oser ! En ne s’embarrassant à aucun moment de la notion de fluidité narrative, Coppola expérimente, venant repousser ses limites, et offrant un récit aussi décousu que la société qu’il dépeint. Le chaos est ambiant, il atteint cette ville de New Rome, il fait dérailler son scénario, il pirate sa mise en scène.

C’est en créateur que Coppola se pose, le créateur de nouvelles frontières de son cinéma, allant toujours plus loin dans ses idées pour mettre en images ces angoisses et la décadence d’une société. Une main qui attrape la lune, la rêverie et le cauchemar se côtoie sans cesse, dans un métrage qui n’a de cesse de vouloir créer une rupture dans sa tonalité. N’étant jamais linéaire, il tente d’encapsuler un mouvement, celui d’une œuvre singulière, un geste d’un cinéma rêvé. Et pour l’atteindre, Coppola ose tout, jusqu’à plonger ouvertement dans l’excès : l’excès d’une photographie aux reflets bling-bling assumé, aux effets qui bavent, au surplus de numérique, au casting grandiloquent qui frôlent toute la bouffonnerie grotesque… Rien n’arrêtera César d’accomplir sa vision, tel un messie, il offre sa « megalopolis », et en parfait reflet, Coppola en fera de même.
Est-ce que dans ce geste fou, fruit d’une gestation de plus de quarante ans, où les défauts explosent dès ses premiers instants, on ne retrouverait pas une foi inébranlable dans cet art qu’est le cinéma ? En livrant une chimère absolument déroutante, Coppola n’emprunte pas la route du chef d’œuvre, mais peut-être plus celle d’un geste de cinéma. C’est en prenant toutes les libertés, en assumant tous ses défauts, qui sont aussi celui du réalisateur, que ce métrage, aussi imparfait et « raté » soit-il, n’en reste pas moins une œuvre intrigante, qui fait et fera encore parler.

Au final, on passe ? Ou fonce ?
Sans conteste, Megalopolis est de ces rares OVNI qui nous rappellent que le cinéma peut faire rêver, comme nous plonger dans un cauchemar ! Ne cessant jamais de tomber toujours plus bas dans la déception, le métrage est criblé par ses défauts et sa démesure. S’enfonçant dans un gouffre narratif, le récit ne s’embarrasse pas de savoir si le spectateur parvient à suivre ce dédale d’intrigues boursouflées. Avec un casting bien large, et des dialogues bien navrants, cette curieuse combinaison nous donne un résultat confinant à un exercice d’autodérision pour ces acteurs. De Aubrey Plaza à Adam Driver, en passant par un Shia LaBeouf particulièrement risible, il n’y en quasiment aucun pour parvenir à contrebalancer ce ballet de bouffonneries.
Allant toujours plus loin dans le ridicule, on ne manquera pas de réduire la figure féminine à son plus bas : robe ultra fendue, dialogues autour d’un dilemme entre être belle ou sentir bon, ultra sexualisation absurde. Le combo parfait en somme… En continuant sa descente hallucinée, le métrage ne manquera pas de nous glisser des petites répliques croustillantes à souhait, laissant faire transparaître que si un homme est un coureur de jupons, c’est aussi parce que les dames le cherchent. Il est toujours agréable de retrouver ses petites pensées si ouvertes !
Et comme le mauvais goût est contagieux, il aura trouvé son chemin jusque dans le moindre recoin du film, du récit à la mise en scène. Avec sa photographie hasardeuse, et qui vient étouffer de par ses excès, la raison pour laquelle le terme kitsch a été inventé semble se trouver ici. Sans oublier un goût prononcé pour sa profusion de CGI mal finis, comme mal pensés, venant contraster avec la pauvreté de l’imaginaire du péplum, comme du concept de sa ville utopiste. Est-ce que le too much assumé ne viendrait pas dissimuler une énorme coquille vide ? Il semblerait bien, tant son penchant philosophique est aussi appuyé que banal, ses références historiques grossières, sa logique mathématique faussée… Tout n’est qu’apparat dans cette farce à 130 millions de dollars pour un film qui résume non pas la chute d’une société, mais bien celle de son réalisateur.
25 septembre 2024 au cinéma | 2h18 | Drame, Science-fiction
De Francis Ford Coppola | Par Francis Ford Coppola
Avec Adam Driver, Aubrey Plaza, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Shia Labeouf…
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