Dois-Je Le Voir ?

Synopsis : Ils m’ont appelé à la 3e tranchée Nord. Une ligne à réparer. Dépêche-toi ! Ça saute de partout. Temps de chien, mon Capitaine. J’entends plus grand chose de toute façon. Oreilles pétées par un obus. C’est pas ma chance cette guerre. J’ai 20 ans et j’ai même pas de fusil.

AVIS GLOBAL

Sélectionné dans la section « Venise Immersive » de la Biennale, il aura fallu le double de la durée de la Grande Guerre pour que Champ de bataille apparaisse devant nos yeux. Né d’une idée du réalisateur François Vautier, ce métrage est un acte de mémoire inédit et une expérience sensorielle nous plongeant plus que dans n’importe quelle œuvre dans l’horreur de la guerre.

Un film avant tout

Le postulat du film laisse songeur sur ce qu’il est. L’évidence aurait été d’être un métrage filmé entièrement à la première personne et en temps réel. Il aurait ainsi été une sorte de 1917 avec la spécificité d’être dans les yeux d’un soldat, sauf qu’il n’en est rien.

Champ de bataille surprend car bien que subsiste des séquences à la première personne – il était impossible d’y échapper – il n’en reste pas moins un « vrai » film allant au-delà de la simple expérience ludique. C’est une œuvre avec un propos transmis par le langage cinématographique.

Paradoxalement, et ce malgré l’avancée technologique, nous revenons même à une forme primitive du cinéma avec quelques effets criards et des flash-back académiques. Champ de bataille reste cependant un film en réalité virtuel, chose qu’il n’oublie pas et dont il tire profit.

Les yeux dans la terre et le sang

Le métrage débute dans le présent sur l’image de crânes de soldats décédés. La caméra s’élève – dans une tentative de nous émerveiller – avant de descendre et de plonger dans l’horreur des tranchées. Champ de bataille se focalise sur la question de l’élévation, et plus particulièrement de l’Enfer et du Paradis.

Après cette première séquence, nous restons coincés sous terre dans cette guerre infernale. Nous relevons la tête qu’à la tout fin, dans un travelling lié à une belle morale. La portée humaine est tout aussi fondamentale car ce sont les Hommes qui s’entre-tuent. Nous suivons Julien, un soldat malentendant chargé des communications là où plus personne ne communique. C’est un personnage étrange, qui est par nature hors de ce monde. Isolé, il ne trouve de l’humanité que chez le chien, seul être qui n’a pas été arraché par les obus.

C’est un thème très actuel et le film n’y échappe pas, son médium représentant parfaitement cela car c’est une expérience solitaire. Champ de bataille exploites en revanche sa particularité pour renforcer l’immersion. Le cinéma a déjà réussi à nous faire comprendre ce qu’est la guerre et ce sans « y être », qu’est-ce que ce métrage peut donc nous apporter de plus ? Tout est une question de perception.

La différence majeure est que nous choisissons ce que nous voyions. Le film, bien que dirigiste, nous laisse l’opportunité de regarder autour de nous et, au contraire, peut choisir de nous boucher la vue par divers moyens. Lorsque nous sommes au cœur de l’action, c’est là que le procédé prend tout son sens.

Dans une œuvre classique, nous sentirions la confusion tandis que là nous la ressentons. Il se passe tellement de choses que nous ne savons plus où donner de la tête. Le spectateur garde effectivement son précieux statut, toutefois il devient aussi acteur.

First Person Viewer

Dans cette quête d’immersion, le métrage, par sa nature, ne peut se passer d’une inspiration évidente : celle du jeu vidéo. Champ de bataille rappelle les campagnes FPS de jeux de guerres fameux, notamment Call of Duty et Battlefield. Quelques fois, nous nous croirions presque dans une cinématique de l’un de ces jeux, à la différence que nous ne contrôlons rien lorsqu’il y a de l’action.

L’inspiration va même au-delà de l’image. Nous suivons un protagoniste malentendant et donc muet. Dans les jeux vidéo, c’est un choix qui renforce l’immersion. Cependant, ce rapprochement avec ce média n’est aucunement voulu par François Vautier.

Le réalisateur souhaitait justement faire le contrepoint de Battlefield 1 avec une guerre plus humaine et non-spectaculaire, pourtant il en a repris inconsciemment les codes. Pour le côté humain, il s’est tourné vers le cinéma et notamment un film en particulier : Les Sentiers de la gloire.

La référence au chef d’œuvre de Stanley Kubrick se trouve dans la construction du métrage, en allant de ce plan à la première personne au milieu des tranchées, en passant par les soldats envoyés de force à l’abattoir jusqu’à cette fin symbolique. Champ de bataille est presque un remake du film américain sauf qu’à la place de suivre un officier, nous sommes dans les yeux d’un soldat contraint de rester au front.

Champ de bataille forme les prémices d’une nouvelle façon de concevoir l’Histoire et le septième art. C’est une expérience de cinéma nous plongeant la tête dans le sol. À la fin, nous remontons à la surface en enlevant notre casque, une chance que d’autres n’ont pas eu.

Sortie le 1er trimestre 2025 | Guerre

De François Vautier

Avec Rod Paradot, Thimotée Robart

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