Les Chambres rouges : Kelly-Anne se réveille chaque matin aux portes du palais de justice pour s’assurer une place au procès hyper-médiatisé de Ludovic Chevalier, un tueur en série duquel elle est obsédée. Motivée par des fantasmes de plus en plus morbides, elle tentera par tous les moyens de mettre la main sur l’ultime pièce du puzzle : la vidéo manquante du meurtre d’une préadolescente de 13 ans qui porte une inquiétante ressemblance avec elle.
AVIS GLOBAL
Les red rooms sont des objets de fantasmes relevant du mythe contrairement à l’hybristophilie qui, quant à elle, est une pathologie existant vraiment. Pascal Plante mêle mythe et réalité dans Les Chambres rouges, une des œuvres les plus malsaines de ce début d’année. Ce thriller canadien est sorti au cinéma le 17 janvier 2024.

Se préparer à l’horreur
Les Chambres rouges traite d’un sujet délicat, d’une passion totalement amorale à en faire froid dans le dos : celle de l’adoration d’une femme pour un tueur sanguinaire. Le métrage nous prend aux tripes alors que nous n’en voyions jamais, les séquences de tortures résonnant par leur nature insaisissable.
Si elles sont si viscérales c’est en particulier grâce à l’efficacité de l’introduction. Assister au premier jour du procès de Ludovic Chevalier est un excellent moyen de présenter les enjeux. Cette première séquence est construite en plans très longs où chaque avocat présente son accusation ou sa défense.
Concernant le monologue de la procureure, la caméra se place du côté des jurés avec une vue sur la famille des victimes. Nous sommes dans le sentiment et dans la préparation mentale de ce qui va suivre bien que lorsqu’elle évoque les vidéos, la caméra montre l’accusé et Kelly-Anne.
Ce « déraillement » se confirme lorsque l’avocat de la défense prend la parole. La réalisation est plus ou moins identique en nous mettant à la place de l’auditoire. Toutefois, la caméra est plus vivace, alternant travellings gauche et droit entre les familles et la protagoniste jusqu’au long zoom final sur son visage.
Nous ne sommes que brièvement placé dans le rôle de juré dans une fausse tentative de nous impliquer dans ce procès. En effet, Kelly-Anne reprend petit à petit le monopole de notre attention pour nous dire avec ce visage si froid que Ludovic est coupable et que cela ne la dérange pas, bien au contraire.
Si au tout début quand elle entre dans la salle nous ne voyions que la mère de la petite Camille et le tueur, les autres séquences reprendront cette même mise en place, nous faisant prendre durant l’entièreté du métrage son terrifiant regard.
Dans les yeux du Mal
Capter le point de vue de Kelly-Anne, c’est contempler sa quête malsaine d’être considérée par Ludovic. L’aspect paradoxal de cet objectif est qu’elle est mannequin et qu’elle est ainsi vu de tous, sauf de celui qu’elle aime.
Dans le même temps, sur les réseaux, ceux qui lui permettent d’avoir accès à sa requête, elle est contrainte de garder son anonymat et donc ne peut contacter directement l’objet de son désir. Son amour est tel qu’elle se fiche d’être repéré durant le procès ou que les caméras soient braqués sur elle.
Ce que Kelly-Anne veut c’est Ludovic, et elle l’aura à n’importe quel prix. La femme, dans un acte sacrificiel, dévoilera sa passion dans une séquence effrayante où le regard du tueur le sera tout autant.
Le regard porté sur nos vices
Dans un monde technologique, le regard n’est plus unique mais multiple. Notre point de vue n’adopte pas que celui de Kelly-Anne, mais aussi celui des objectifs. À plusieurs reprises nous prenons le point de vue d’une caméra de surveillance, qu’elle soit vraie ou fausse.
Dans cette optique, nous nous retrouvons dans la même position que la protagoniste. Lorsque la mère de la petite fille dit qu’elle ne veut plus que des groupies participent au procès, elle parle aussi de nous. Comme si nous étions en train de participer à une red room, nous sommes là à observer cette histoire, voir où elle va aller et surtout où Kelly-Anne ira.
Si effectivement il n’y aucune preuve que les red rooms existent, ce rouge infernal, lui, est bien réel, et peint aussi bien le visage aussi séduisant qu’effrayant de Juliette Gariépy, que l’écran de cinéma.

Embrasser les ténèbres
Le personnage de Kelly-Anne permet au film d’être crédible, au-delà la maîtrise de la réalisation de Pascal Plante. C’est une femme froide et calculatrice dont sa fixation sur le sport et son corps rappelle Patrick Bateman.
À vrai dire, dans sa façon d’être et dans son mode de vie, elle est dans le mimétisme du tueur, chose confirmée par le shooting photo gothique où elle porte une cagoule comme Ludovic dans les red rooms. Le principal témoin de cette association reste lorsqu’elle regarde les vidéos.
En prenant le point de vue de sa webcam, nous y contemplons une femme sans sentiment malgré les cris que nous pouvons entendre. Ce décalage morbide est d’autant plus angoissant lorsqu’elle montre ces terribles images à Clémentine. Kelly-Anne les connaît par cœur au point que nous nous demandons combien de fois elle a pu les voir.
Néanmoins, agir de la sorte ne lui permet pas d’atteindre Ludovic. Ne pouvant l’attirer en le copiant, elle va le faire en se grimant en victime. Elle perd ainsi de plus en plus le contrôle comme il est possible de le constater lorsqu’elle contact une personne du dark web.
Contrairement à d’autres séquences où elle est sur son ordinateur, la femme n’est pas filmée de face pour souligner qu’elle n’a plus les cartes en main. C’est même confirmé où pendant une partie de poker elle laisse place à ses émotions, chose qu’elle ne faisait jamais, quitte à jouer le tout pour le tout.
Kelly-Anne n’est pas dépourvue de sentiments, mais quand elle le montre c’est là qu’elle la plus perturbante. Finalement, bien qu’elle n’ait pas commis de crime aussi horrible que Ludovic, elle n’en reste pas moins tout aussi angoissante.
Une passion commune
La passion morbide de Kelly-Anne semble unique, pourtant elle ne l’est pas. Clémentine est une femme qui est elle aussi amoureuse de Ludovic, mais pas pour les mêmes raisons que l’adoratrice. La jeune femme l’aime pour l’innocence qu’il laisse transparaître, et non pour sa possible cruauté.
De ce fait, Kelly-Anne est réticente à la côtoyer mais par bonté, ou presque, elle va l’héberger. Si elle le fait c’est pour la simple et bonne raison qu’elle souhaite partager sa passion avec elle et, dans un sens, la façonner à son image.
C’est perceptible lorsqu’elles font du squash et que Kelly-Anne la force presque à jouer. L’emprise est d’autant plus forte lorsqu’elles regardent la télévision et que nous avons le point de vue de l’adoratrice sur la jeune femme. Elle voit clairement en elle un double qu’elle souhaite initier sauf qu’elle se trompe.
Lorsqu’elles regardent les vidéos, nous voyions clairement que Clémentine garde son humanité, Kelly-Anne l’ayant perdu. Malgré tout, la conclusion de leur parcours est similaire, les deux n’étant finalement que les deux faces d’une même pièce.
La Dame et son Chevalier
Traitant un sujet moderne, Les Chambres rouges reste parcouru par les légendes arthuriennes, une étonnante filiation qui est pourtant efficace. Kelly-Anne est l’alter ego de son pseudo dans le dark web, c’est-à-dire une « Lady of Shalott » moderne.
Elle ne peut contempler la réalité que par des reflets ; elle ne peut voir son Lancelot que par une vitre et que par l’écran de son ordinateur. Ce n’est alors que lorsqu’ils se verront directement qu’elle va « mourir ». Toutefois, si elle meurt c’est pour mieux ressusciter.
La bande originale du film fait référence directement à cette notion, la musique accompagnant ce moment crucial se nommant « résurrection ». En effet, Kelly-Anne renaît en prenant la semblance de Camille, c’est-à-dire en dévoilant son vrai visage. Néanmoins, elle ne peut éviter le triste destin du personnage des légendes.
Les références à Arthur ne s’arrêtent pourtant pas là. L’I.A. de Kelly-Anne se nomme Guenièvre, comme la femme infidèle d’Arthur. La mannequin l’a modifié de telle sorte qu’elle puisse aller sans danger sur le dark web et donc se rapprocher de son Chevalier.
Les dérives de la technologies ne sont dues qu’à des obsessions qui existaient déjà. Les Chambres rouges prend le parti de nous y confronter tout en dévoilant les nôtres. Regarder Kelly-Anne sur son ordinateur, c’est voir notre reflet dans ses yeux de verre. La curiosité est un vilain défaut et lorsqu’il s’agit des pires affres de l’humanité, elle est un péché auquel nous sommes tous impliqués même si pour la majorité c’en est à vomir. Dans le cas de Les Chambres rouges, c’est une curiosité qu’il est fondamental de découvrir.
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