Dois-Je Le Voir ?

Un Hiver à Yanji : C’est l’hiver à Yanji, une ville au nord de la Chine, à la frontière de la Corée. Venu de Shanghai pour un mariage, Haofeng s’y sent un peu perdu. Par hasard, il rencontre Nana, une jeune guide touristique qui le fascine. Elle lui présente Xiao, un ami cuisinier. Les trois se lient rapidement après une première soirée festive. Cette rencontre intense se poursuit, et les confronte à leur histoire et à leurs secrets.

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UN HIVER À YANJI

Un Hiver à Yanji est un film chinois sans l’être, dans une Chine qui ne l’est pas non plus. Anthony Chen vogue dans un glacier inconnu, portant avec lui trois personnages chacun à la frontière de leur vie. Ce n’est pas un hiver face à la cheminée que nous propose le réalisateur, mais un hiver glacial rempli de mélancolie. Ce drame chinois est sortie au cinéma le 22 novembre 2023.

Bloqués dans la neige

Un Hiver à Yanji est un voyage dans une terre froide entre deux mondes – la Chine et la Corée du Nord – où Nana, Xiao et Hao Feng s’enfoncent dans la neige, attendant patiemment la fin de l’hiver. Les trois personnages forment trois blocs de glace inamovibles, ne se retrouvant dans aucun monde.

Le réchauffement des cœurs passe par l’alcool, la cigarette et les déambulations nocturnes à Yanji, le trio rappelant celui de Jules et Jim ou de Bandes à part comme en témoigne la séquence dans la librairie. Leurs sorties sont répétitives, le film allongeant volontairement le temps comme s’ils n’avançaient pas, glissant sur la glace.

À l’instar de la montre cassée, ils tentent de briser la glace, montrant ainsi qu’ils souhaitent s’en échapper, et ce malgré leurs différences. Effectivement, ils viennent chacun d’un milieu social différent, toutefois ils sont toujours mis sur un pied d’égalité, que ce soit sur une moto ou devant une cage d’un zoo.

Prisonniers d’ici…

Yanji est le théâtre de trois destins croisés. Nana est une jeune femme rêvant de poursuivre sa carrière de patineuse artistique mais qui, suite à une blessure, a dû mettre un terme à ses rêves. La jambe « coupée », elle reste bloquée dans la glace sur laquelle elle patinait, celle-ci ne pouvant plus qu’observer, dans des séquences hors du temps, son fantôme passé glissant sur la glace.

Pour s’en défaire, elle fume et boit de l’alcool comme pour dégeler son cœur. Rien n’y fera, même pas le réchauffement des corps avec Hao Feng, car si l’amour est une flamme, celle-ci est éphémère. La situation de Xiao est plus ou moins identique.

Le jeune cuisinier est entravé par ses propres échecs professionnels et sentimentaux. Voyager serait pour lui salvateur, toutefois il ne le fait pas, l’homme étant accroché à une ville et surtout à une personne.

… et d’ailleurs

Dans la vie de ces deux personnages intervient Hao Feng, lui qui vient d’autre part. Bien qu’il ait réussi professionnellement, il n’est psychologiquement pas bien, celui-ci souffrant de solitude. Qu’il se trouve à un mariage ou en boîte de nuit, il ne s’intègre pas socialement et reste seul dans son coin, soit à rêvasser, soit à pleurer.

Parmi les trois, il est le seul à ne pas chercher à se réchauffer, au contraire, il va littéralement manger des glaçons, un acte tout aussi symbolique que beaucoup trop explicite. Sa rencontre avec Nana et Xiao lui permet ainsi de s’éloigner momentanément de ses pensées suicidaires, et surtout de trouver une source de chaleur.

Boire et fumer lui redonnent goût à la vie, et lui offre l’opportunité d’atteindre son objectif : aller au lac céleste. Néanmoins, s’il se rapproche d’eux, au final il reste tout aussi éloigné. Au zoo, lorsqu’il révèle ses envies suicidaires, la courte profondeur de champ le sépare de ses amis par un flou.

La distance qu’il leur impose se développe alors aux autres, comme le montre la séquence dans le labyrinthe de glace où ils se cherchent sans se trouver.

La légende…

Le destin de ces personnages est marqué par un onirisme et mysticisme oriental, celui des légendes chinoises. Ils poursuivent un but fabuleux ressemblant au monde irréel dans lequel ils se trouvent : la recherche du lac céleste.

Ce lac hante le métrage de par sa présence immatérielle, que ce soit au mariage ou dans la librairie. C’est le lieu qui maintient en vie Hao Feng, et bien que Nana et Xiao n’ont initialement pas la même attache, tout deux sont liés à ce lac via une légende que leur ami leur conte.

Xiao et Nana sont le tigre et l’ours de l’histoire. Tout comme le félin, le cuisinier part de sa « grotte ». Dans son cas s’ajoute aussi le parallèle avec le Nord-Coréen. Au-delà de la ressemblance physique, ils ont tout autant l’un que l’autre une folle envie de liberté.

En ce qui concerne Nana, à l’image de l’ours, elle va rester dans l’espoir non pas de devenir humaine, mais d’être une patineuse. Le rapprochement avec le mammifère est par ailleurs un peu trop direct avec l’animal se présentant face à elle et reniflant sa jambe blessée.

… et son conteur

Une nouvelle fois, Hao Feng est extérieur au destin de ses deux amis. Dans cette légende, il n’est que le conteur, comme le souligne son absence durant la fin. Le personnage n’est que la neige de ce paysage, et il partira que lorsque l’hiver passera. Le trio part d’ailleurs en direction du lac lorsque la neige s’efface de Yanji.

C’est un personnage tragique ayant pour rôle de mener ses compagnons vers une meilleure existence. Hao Feng n’est qu’un fantôme qui, au bout d’un moment, doit retourner dans le monde des esprits.

Bloqués dans le blizzard de l’existence, les personnages sont en attente d’un feu salvateur. « Un Hiver à Yanji » n’est cependant pas un voyage pessimiste. Il est rempli de paysages d’une sublime mélancolie, à vouloir s’y jeter la tête la première pour tout oublier ou à fuir pour se libérer.

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