Vers un avenir radieux – Le testament de Nanni Moretti

Vers un avenir radieux : Giovanni, cinéaste italien renommé, s’apprête à tourner son nouveau film. Mais entre son couple en crise, son producteur français au bord de la faillite et sa fille qui le délaisse, tout semble jouer contre lui ! Toujours sur la corde raide, Giovanni va devoir repenser sa manière de faire s’il veut mener tout son petit monde vers un avenir radieux.

Vers un avenir radieux | Le Pacte
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Vers un avenir radieux

Note : 3.5 sur 5.

En détournant l’affiche de son plus grand succès, Nanni Moretti expose son ambition de proposer une nouvelle œuvre autobiographique, cette fois non pas au travers d’une excursion en vespa, mais d’un voyage temporel au milieu d’un tournage. Cette comédie dramatique italienne est sorti au cinéma le 28 juin 2023.

Différencier l’œuvre de l’artiste

Vers un avenir radieux est le conte de Giovanni, un réalisateur italien fameux, en plein tournage d’un long-métrage où se mêle Parti Communiste Italien et révolution hongroise de 1956. Au vu d’un projet si engagé et si clivant politiquement, nous pourrions nous attendre à ce que son réalisateur le soit tout autant. Il n’en sera rien car Moretti se mettra dans la peau d’un personnage réactionnaire et excentrique aux méthodes dictatoriale, allant ainsi à l’encontre de sa propre création.

Giovanni impose alors un contrôle total sur l’œuvre, imposant ses règles à tout ce que nous observons. Celui-ci ne souhaite pas de la présence iconographique de Staline dans son œuvre, il ne veut pas non plus utiliser des marques d’eau d’époque et préfère en créer une, et vient même à changer la une d’un journal. De par cette censure et ce désir de changer l’Histoire, Giovanni se rapproche grandement de la figure dictatoriale qu’il a excommuniée.

Il en est même traditionaliste, celui-ci n’acceptant pas la relation qu’a sa fille avec l’ambassadeur polonais – sa nationalité étant certainement voulue et confirmant sa tyrannie –. L’entièreté du film est sous sa coupe, ou plutôt des films.

Le chef de plusieurs pays

Vers un avenir radieux possède en son sein trois métrages. Chacun est différent les uns des autres, mais sont tous liés par la mainmise de Giovanni. Le premier est celui que nous regardons et il est intimement attaché au film que Giovanni tourne, ce dernier y transposant sa vie.

Ainsi, le réalisateur est partout, impose sa présence, éclipse les autres, et est celui qui dicte à cet effet aussi bien le tournage cinématographique que celui de la vie. En témoigne la séquence où Giovanni fait ses brasses, ses collègues le suivant péniblement dans des travellings droits et gauches successifs. Le réalisateur en vient à contrôler les individus et celle qui en pâtit le plus est sa femme Paola.

La révolte

A l’image de n’importe quel tyran, Giovanni va perdre ce contrôle. Cela va se traduire dans sa vie par le fait que sa fille reste avec l’ambassadeur, mais aussi dans son tournage où ses deux acteurs principaux se mettent en couple. Les personnages échappent à son emprise et tentent de se faire une place dans le métrage.

Le comble pour Giovanni est que l’organisateur de ce coup d’état se trouve chez lui, en lieu et place de sa femme. Dans un film totalement réalisé par le réalisateur, la femme va s’accaparer la caméra durant des séances chez le psychologue qui formeront un métrage à part entier.

Ce sont les seules séquences où n’apparaît jamais son mari, celles-ci n’appartenant qu’à elle. Cela est souligné par les gros plans constants et intenses sur son visage, un procédé qui était alors utilisé exclusivement pour Giovanni. Si la femme de l’œuvre s’émancipe de l’idéologie stalinienne de son mari, Paola s’échappe de l’emprise de Giovanni.

Par ailleurs, le réalisateur tente de reprendre la main sur le film particulièrement via un raccord où nous passons du visage de Paola au sien. Cependant, cette tentative est futile, puisqu’au fil des minutes le réalisateur perd le contrôle aussi bien du film que nous regardons, que celui qu’il réalise.

Le cinéma comme symbole du communisme

Nous pouvons le percevoir par le fait que l’idée que se fait Giovanni de son œuvre est complètement différente de ce que les autres pensent. L’actrice y voit une histoire d’amour en y insérant par ailleurs son vécu, alors que les producteurs coréens y discernent un profond cynisme proche de leur cinéma.

Le symbole ultime de ceci est le repas dans l’ambassade polonaise où chacun va proposer sa vision de la fin dans un tohu-bohu hyperbolique sur l’œuvre qui échappe à son créateur. Paradoxalement, Giovanni s’est davantage rapproché du communisme par ce biais que par son propre film.

En effet, le cinéma est la représentation idéale de ce courant politique étant donné que des gens de divers horizons se retrouvent dans une même salle sans qu’il n’y ait de distinctions de classes, et que chacun a une interprétation de ce qu’il voit.

Le métrage du réalisateur – et aussi de Moretti – a pour but d’atteindre ce principe de réunion. Il ne souhaite se terminer sur l’égo du tyran, mais sur les acteurs et l’équipe de tournage dans un mouvement révolutionnaire pour mettre un terme au régime totalitaire de Giovanni.

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Amarcord par Moretti

Vers un avenir radieux est une mise en abyme géante où Giovanni transpose sa vie dans son œuvre et où Moretti fait de même par le biais de cet avatar. Difficile de ne pas y voir un côté fellinien, une sorte d’Amarcord pour le réalisateur italien. De surcroît, nous pouvons même y discerner un aspect pasolinien de par la présence du communisme.

Moretti se met à nu tout en se faisant sa propre autocritique. Le personnage qu’il campe est, malgré son autoritarisme, très solitaire. Nous pouvons le constater lorsqu’il se met à jouer au football tout seul ou lorsqu’il part du tournage de film d’action.

Dans ce dernier, au préalable nous restons longtemps avec lui parasitant le plateau. Lorsqu’il en a fini, nous le voyions partir dans un long plan avec dans son dos la scène se finissant en l’espace de deux secondes. S’y dégage une grande tristesse de ce plan car malgré tout ses efforts, les autres s’en moquaient, comme si ses idées avaient été balayées d’un coup, comme s’il n’était plus dans le coup.

Interviens alors un autre film, celui dans lequel Giovanni, et par extension Moretti, va se recueillir. Il est davantage métaphorique puisque c’est la romance que le réalisateur souhaite réaliser sur un couple.

C’est son œuvre la plus personnelle et c’est aussi celle où il contrôle tout. Il s’enferme dans une zone de confort nostalgique, dans un cinéma qu’il chérit plus que tout au monde. Toutefois, c’est aussi là qu’il dévoile tout l’amour qu’il porte pour sa femme et le cinéma, chose qu’il n’a jamais montré dans la vie réelle.

Le refus de la modernité

Le cinéma étant son métier, Giovanni est très réactionnaire vis-à-vis de celui-ci. Par ses yeux, Moretti observe le cinéma actuel et le critique.

Le respect des traditions passe notamment par le fait que Giovanni collabore avec un producteur français campé par un Matthieu Amalric délirant. Cela ne peut que faire référence au lien cinématographique entre la France et l’Italie, toutefois ce lien va très vite être brisé.

Dominé par ses a priori, Giovanni est réticent à collaborer avec des producteurs coréens, celui-ci critiquant la violence « mainstream » de ce cinéma. Il la dénoncera directement lors de son intervention sur le plateau de tournage du film d’action.

Bien que n’étant pas contre la violence en soi, il l’est contre celle cathartique, et fait par la même occasion barrière à la jeunesse. Néanmoins, ceux qu’il répudie sont les services de streaming, et notamment Netflix.

Entre dérapage et autodérision

S’il subsistait un débat entre le jeune réalisateur et lui, là Giovanni tire sans concession sur le fameux service. Le réalisateur appuie durement sur le fait que leurs productions ne sont que des produits et non des œuvres d’art.

Si Moretti, en se confrontant au jeune réalisateur, faisait preuve d’autocritique, dans ce cas précis il n’en est rien. L’aversion envers Netflix est une des seules idées réactionnaires assumées et est par la même occasion la moins drôle car les vannes sont trop exagérées. C’est bien dommage alors que Moretti fait preuve d’autodérision sur sa propre filmographie via le film que réalise Giovanni.

Ce métrage est digne d’un téléfilm italien sortant sur la Rai, en particulier au niveau de la musique et de la photographie, comme si Moretti se considérait un artiste d’un autre temps réduit qu’à des diffusions télévisuelles.

Si Journal Intime était, comme son nom l’indique, le journal de Moretti, Vers un avenir radieux serait son testament. C’est le récit crépusculaire d’un réalisateur portant un regard sur sa vie et sur le cinéma actuel. Cela peut autant dérouter que faire rire, autant nous énerver que nous attrister. Vers un avenir radieux est une œuvre imparfaite d’un homme imparfait souhaitant cependant perpétuellement grandir et faire grandir ses spectateurs.

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